Le Roi Dragon N°3 – Symbolique du chiffre 3

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Le Roi Dragon Magazine arrive à son troisième numéro. Ce chiffre, sans qu’il soit plus significatif que les autres, marque cependant des aspects importants dans de nombreux domaines de la pensée traditionnelle Extrême-orientale.

Nous allons faire ici une première exploration des significations que l’on peut en titrer, ce qui nous mènera à envisager le principe d’intégrité, qui est l’aspect de l’existence qui peut être conduit à son ultime aboutissement par la pratique des voies traditionnelles. Nous verrons ainsi que l’efficacité d’un art martial réside moins dans la fortification de l’être que dans la mise en conformité de celui-ci avec sa nature intrinsèque, la part de la Vertu du Tao avec laquelle un être est en affinité.

Tout d’abord les gloses commentent le chiffre Trois comme “Le nombre du ciel, de la terre et de l’humanité. Les Trois Puissances”. C’est la fameuse Grande Triade Taoïste, Tien-Ti-Jen, que la tradition Extrême-orientale considère incarnée sur terre par le Wang, l’Empereur dont l’idéogramme est donné ci-dessous :

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Le Tao-Te-King énonce que la diversité commence à s’exprimer à partir de Trois : “ Un procéda du Principe (Tao), puis Deux procéda de l’Un, Trois procéda du Deux ; les dix-mille êtres se manifestèrent à partir du Trois.“ Sans doute est-ce en raison de cette loi universelle que le rideau se lève sur la scène du théâtre après que trois coups soient frappé.

Trois est le nombre des plans symboliques de l’être, Shin-Ki-Taï, Esprit-Âme-Corps.

Sur le plan de la durée, trois années semblent être l’unité de temps nécessaire pour embrasser existentiellement les prémices d’une science ou d’un art traditionnel. Sans doute est-ce pour cette raison qu’il faut trois ans minimum avant de pouvoir porter la ceinture noire en Aïkido, c’est-à-dire pour poser le premier pied sur la Voie et pour nouer pour la première fois l’une des fibres du cordon de son âme à l’une des fibres du cordon de l’Âme Universelle.

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Comme nous l’avons déjà évoqué dans les autres numéros du Roi Dragon Magazine, c’est par l’enseignement traditionnel que l’homme peut progressivement ouvrir sa conscience aux rythmes du Ciel et de la Terre. En quêtant la perfection exécutoire des techniques de son art qui sont les répliques des lois d’actions/réactions régissant tout ce qui se manifeste dans l’univers, il peut progressivement s’imprégner d’une manière d’être universelle.

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Tout au long de ce processus, d’innombrables questionnements surviendront, l’incitant à quêter les réponses. Sans doute la nature des questions et des perspectives visées seront-elles en rapport avec la nature intrinsèque de l’individu. Suivant qu’il sera civil, guerrier ou moine-guerrier, s’interrogera-t-il sur : comment utiliser au mieux son environnement matériel pour vivre mieux ; comment régir la vie et la mort des êtres vivants pour le bien de la communauté ; comment se transformer pour participer en conscience à Ce qui rend possible l’expression de la diversité au sein de l’Unité ?

On arrive ainsi à considérer le Beau, le Bien, le Bon. Trois aspects complémentaires de l’existence qui se déclinent en trois grandes catégories d’enseignements traditionnelles, les voies artisanales, les voies guerrières, les voies de l’Union (à la Conscience Universelle). Précisons tout de même que cette catégorisation n’est pas la seule possible. Ils sont aussi la déclinaison des rapports harmoniques des modalités constitutives de trois domaines de plus en plus universels, domaine matériel, domaine humain, domaine de l’existence universelle.

On retrouve de la sorte la Triade emblématique de la tradition Extrême-orientale, Tien-Ti-Jen, Ciel-Sol-Homme, les Trois Puissances symbolisées par le chiffre Trois. Il faudrait plutôt dire le Céleste, le Terrestre, l’Humain. Cependant ces trois puissances ne sont pas considérées comme l’origine ultime, mais comme trois aspects d’un Principe Suprême. Elles ne sont donc pas produites par génération spontanée, mais sont discernables au sein de l’Unité, Unité que l’on doit considérer elle-même comme un premier discernement qu’il est possible d’opérer à partir du Principe Suprême. L’Unité n’est donc pas le Principe, le Tao. Elle procède de la Vertu du Tao et est-ce qui rend possible l’existentiation des dix-mille êtres, c’est-à-dire la manifestation de l’indéfinité des êtres de tous les temps et tous les lieux.

Voilà une première équation Taoiste représentant le passage de l’Absolu à la diversité existentielle :

« A – Un procéda du Principe (Tao), puis Deux procéda de l’Un, enfin Trois procéda du Deux, Les dix-mille êtres se manifestèrent à partir du Trois. Le Principe ayant émis sa vertu une, celle-ci se mit à évoluer selon deux modalités alternantes. Cette évolution produisit (ou condensa) l’air médian (la matière ténue). De la matière ténue, sous l’influence des deux modalités yinn et yang, furent produits tous les êtres sensibles. Sortant du yinn (de la puissance), ils passent au yang (à l’acte), par influence des deux modalités sur la matière. (Tao-Te-King Chapitre 42-A) »

Mais il existe aussi une équation évoquant le passage de la diversité à l’Absolu :

« Le Principe un et universel subsiste dans la multiplicité des êtres, dans leurs genèses et leurs destructions. Tous les êtres distincts, sont tels par différenciation accidentelle et temporaire (individuation) d’avec le Tout, et leur destinée est de rentrer dans ce Tout, dont leur essence est une participation. (Tchoang-Tzeu 23-E) »

Il est extrêmement important de ne jamais perdre de vue que l’opération d’individuation est une différentiation de la Vertu du Principe Suprême qui est absolument non affecté par cette opération (immutabilité du Principe). Cependant, du point de vue de l’homme cette différentiation est perçue comme la sortie de la Racine de toute chose, et la transformation opérée par l’enseignement traditionnel est perçue comme un retour et une rentrée dans le Tout. Mais, cette formulation n’est valable que du point de vue de la conscience distinctive de l’individu, alors qu’en tout état de cause rien ne peut sortir de l’absolu sans quoi il ne serait pas l’Absolu. Voilà diverses formules taoïste en rapport avec ces considérations :

Le Tao-Te-King chapitre 37 dit : “Le Principe est toujours non-agissant (n’agit pas activement) et cependant tout est fait par lui (par participation inapparente).”

Tchoang-Tzeu 17-A : “Au point de vue du Principe, répondit le Génie de la mer, il n’y a qu’une unité absolue, et des aspects changeants. Mettre quoi que ce soit d’absolu, en dehors du Principe, ce serait errer sur le Principe.

Le Principe est immuable, n’ayant pas eu de commencement, ne devant pas avoir de fin. Les êtres sont changeants, naissent et meurent, sans permanence stable. Du non-être ils passent à l’être, sans repos sous aucune forme, au cours des années et des temps. Commencements et fins, croissances et décadences, se suivent. C’est tout ce que nous pouvons constater, en fait de règle, de loi, régissant les êtres. Leur vie passe sur la scène du monde, comme passe devant les yeux un cheval emporté. Pas un moment, sans changements, sans vicissitudes.

Tchoang-Tzeu 22-F : “Transportons-nous en esprit, en dehors de cet univers des dimensions et des localisations, et il n’y aura plus lieu de vouloir situer le Principe. Transportons-nous en dehors du monde de l’activité, dans le règne de l’inaction, de l’indifférence, du repos, du vague, de la simplicité, du loisir, de l’harmonie, et il n’y aura plus lieu de vouloir qualifier le Principe. Il est l’infini indéterminé.

C’est peine perdue, que de vouloir l’atteindre, que de vouloir le situer, que de vouloir étudier ses mouvements. Aucune science n’atteint là. Celui (le Principe) qui a fait que les êtres fussent des êtres, n’est pas lui-même soumis aux mêmes lois que les êtres. Celui (le Principe) qui a fait que tous les êtres fussent limités, est lui-même illimité, infini. Il est donc oiseux de demander où il se trouve.

Pour ce qui est de l’évolution et de ses phases, plénitude et vacuité, prospérité et décadence, le Principe produit cette succession, mais n’est pas cette succession. Il est l’auteur des causes et des effets (la cause première), mais n’est pas les causes et les effets. Il est l’auteur des condensations et des dissipations (naissances et morts), mais n’est pas lui-même condensation ou dissipation. Tout procède de lui, et évolue par et sous son influence. Il est dans tous les êtres, par une terminaison de norme ; mais il n’est pas identique aux êtres, n’étant ni différencié ni limité.”

Voyons, à travers la suite du chapitre 42 du Tao-Te-King, comment la représentation existentielle traditionnelle envisage l’enseignement de la science qui permet à l’homme de cheminer vers l’état ouvrant la conscience à l’entendement Universel:

“B. Ce que les hommes n’aiment pas, c’est d’être seuls, uniques, incapables, (l’obscurité et l’abaissement), et cependant les empereurs et les princes se désignent par ces termes, (humilité qui ne les avilit pas). Les êtres se diminuent en voulant s’augmenter, et s’augmentent en se diminuant.”

Ceci est un rappel du chapitre 40 :

“A. Le retour en arrière (vers le Principe), est la forme de mouvement caractéristique de ceux qui se conforment au Principe. L’atténuation est l’effet que produit en eux leur conformation au Principe.

B. Considérant que tout ce qui est, est né de l’être simple, et que l’être est né du non-être de forme, ils tendent, en se diminuant sans cesse, à revenir à la simplicité primordiale.”

Le chapitre 42 se termine comme suit :

C. En parlant ainsi, je redis l’enseignement traditionnel. Les forts arrogants ne meurent pas de leur belle mort. Je fais de cet axiome le fond de mon enseignement.”

Il y a dans cette maxime “Les êtres se diminuent en voulant s’augmenter, et s’augmentent en se diminuant” un sérieux avertissement à l’attention de tous les pratiquants d’arts martiaux, pour qui la fortification inhérente à la pratique martiale ne peut pas revêtir n’importe quelle qualité.

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On pense généralement que la préservation de son intégrité nécessite de devenir plus fort que les forces qui peuvent nous anéantir, imaginant par là que le monde est régi par la loi du plus fort. Pourtant en regardant avec attention ce que sont les êtres qui nous entourent, le délicat papillon, la fragile fleure, la douce brise, le minuscule colibri, le puissant éléphant, le dur grêlon, le terrifiant ouragan, on constate que le fort coexiste avec le faible. L’intégrité existentielle ne dépend donc pas d’un niveau de puissance destructrice, mais bien d’une conformité de son état d’être avec une vertu existentielle participant à l’Unité de la diversité des êtres.

L’intégrité est donc un état, qui est plus en rapport avec un équilibre dynamique entre des forces complémentaires, qu’avec la possession d’une force particulière qui rendrait imbattable. Il y a une grande différence entre être infaillible et être imbattable. Parce que si un être humain peut acquérir une force et une technique suffisantes pour remporter des victoires sur des adversaires dans un combat équitable, que pourrait-il faire de cette force et de cette technique contre la foudre, un ouragan, ou tout autre événement où les forces en jeux sont incommensurables par rapport à celles de l’homme.

Il n’y a que l’état de clairvoyance qui puisse rapprocher l’être de l’infaillibilité, parce que si “l’oeil du coeur” lui montre les obstacles, il saura les contourner, ou les utiliser à bon escient, ou encore accepter ce qui advient et retirer des situations peintes par les sens intérieurs des enseignements infiniment précieux.

Les voies traditionnelles, sont précisément là pour aider l’homme à conquérir ici et maintenant son intégrité ultime. Elles sont structurées de telle façon qu’elles lui enseignent les lois assurant l’équilibre dynamique des forces animant et transformant la multitude des êtres. C’est par la quête de l’exécution parfaitement conforme des techniques avec les archétypes universels qu’elles incarnent, que peut se produire une sorte de résonance harmonique du microcosme avec le macrocosme.

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