N°1 – Philippe – Prolongements au texte de Philippe Sollers « Deviner la chine »

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L’article “Deviner la Chine” de Philippe Sollers s’appuyant sur l’ouvrage “Les Deux Raisons de la pensée chinoise. Divination et idéographie” de Léon Vandermeersch, demande à être prolongé par quelques considérations relatives à la nature de la tradition extrême-orientale.

Généralement les peuples traditionnels considèrent que ce qui est homologable au Tao de la tradition Extrême-orientale (Brahmâ, Wakan-Tanka, Amma, etc..) peut être appréhendé suivant trois aspects que sont le Verbe, le Signe et la Manière d’être. La tradition japonaise désigne ces trois aspects sous la terminologie San Mitsu (les trois Mystères)[1]. Il n’existe pas de relation de subordination entre ces différents aspects. Ils sont vus comme des expressions discernables (mais non strictement distinctes) d’une même Réalité Ultime. Ainsi l’homme dont la conscience distinctive ne lui permet pas d’échapper à une conception existentielle temporelle, localisée et incarnée, voit-il l’appropriation humaine de ces trois aspects émerger successivement dans le cycle de l’humanité et pense-t-il le Verbe, le Signe et la Manière d’être comme des innovations purement individuelles.

Tous les peuples dont les fondements sociaux s’appuient sur la mise en chemin vers l’expérience spirituelle transcendante concrète et l’accession effective à cette expérience par certains hommes, savent que les grandes mutations de la marche de l’humanité (l’entrée dans une nouvelle saison cosmique, c’est-à-dire l’entrée dans une nouvelle relation au monde) sont mises en oeuvre suite à la réception transcendante d’un objet de Connaissance par un homme[2], chargé de mettre en place de nouvelles institutions pour que cette Connaissance soit transmise à tous les hommes ou à un groupe d’hommes de son peuple. Voici quelques exemples pris dans diverses traditions, illustrant cette réception d’une connaissance transcendante. Dans la tradition grecque, Thésée – dont l’étymologie renvoie à « Institution » – est celui qui a reçu la charge de mettre en place les institutions en rapport avec les mystères qui lui ont été dévoilés lorsque Oedipe réalisa sa transmigration (voir la fin d’ »Oedipe à Colone »). Chez les Sioux Oglagla, sept grands rites ont été reçus successivement sur le cycle de leur humanité par de Grands Sages lors de visions exceptionnelles que l’on peut appeler aussi des dévoilements illuminatifs. En Afrique occidentale une langue secrète a été enseignée aux hommes par l’intermédiaire d’un Moniteur du Monde qui est en rapport avec une fonction de la Régence Universelle. Lorsque celle-ci est envisagée sous un aspect formel, elle est représentée par une entité mi-homme mi-serpent, ce qui rejoint ici l’une des représentations de Fou-Hi l’Empereur mythique de la tradition Chinoise. Il est très intéressant de noter qu’il existe des parallèles saisissants entre le Taoisme et la tradition Africaine dont nous parlons (ces parallèles sont d’ailleurs applicables à toutes les peuples vivant une doctrine de l’unité, puisqu’ils cheminent tous via leurs sciences traditionnelles, vers la même Réalité Ultime). En effet, le Taoïsme identifie trois Empereurs Mythiques, qui sont considérés comme les détenteurs de connaissances faisant entrer l’homme dans l’intelligibilité d’une participation existentielle d’une complexité croissante. Avec chacun des Empereurs émergeait un Verbe, des Signes et des Techniques correspondant à des aspects complémentaires de ces connaissances. De la même façon, la tradition africaine a une doctrine se rapportant à la descente de trois Verbes successifs liés à des techniques et des systèmes de signes devenant successivement de plus en plus complexes. Les trois paroles sont ainsi associées successivement à la fibre (une dimension) au tissu (deux dimensions) et enfin au tambour (trois dimensions). Ces trois verbes successifs peuvent sans difficulté être mis en parallèle avec les trois traditions Abrahamiques successives.

La tradition Africaine reconnaît huit moniteurs, qui peuvent être mis en relation sans faire un syncrétisme trop grossier, avec la doctrine des trois Augustes et des cinq Empereurs de la tradition chinoise. On remarquera avec intérêt que c’est à Fou-Hi, le premier des trois Augustes, que l’on attribue l’apport de l’écriture, mais ce serait le premier des cinq Empereurs Houang-Ti (postérieurs aux trois Augustes), qui aurait l’aurait institutionnalisée et systématisée. Les trois Augustes symbolisent des puissances intermédiaires entre un domaine non-temporel, non-localisé, et la Manifestation. Ce sont aussi, sous un autre rapport, les emblèmes des trois tempérances spirituelles successives d’un même cycle d’humanité ainsi que les trois degrés hiérarchiques des natures humaines. Contrairement à la datation retenue par les savants de notre époque, les anales chinoises rapportent que les systèmes de signes ont été introduit environ 3500 ans avant J.C, alors que leur systématisation daterait de 2500 ans avant J.C. Il ne fait aucun doute que des découvertes archéologiques viendront confirmer ces données, comme par exemple celles du site de Jiahu où des idéogrammes gravés sur des carapaces de tortues correspondaient à une période située entre 6600 et 6200 ans av J.C. Ces découvertes laissent entendre deux choses, d’une part que même si ces idéogrammes ne constituaient pas un système d’écriture retranscrivant la parole, ces idéogrammes étaient porteurs d’un sens conventionnel. Ensuite, contrairement à ce qui est dit dans l’ouvrage cité en référence par Philippe Sollers, l’usage des carapaces de tortues comme procédé oraculaire n’est pas une innovation qui aurait succédée à l’utilisation d’os d’omoplate, mais semble bien être une très ancienne pratique et peut être même la pratique originelle. On peut également être étonné que tous les jalons historiques d’émergence de techniques soient systématiquement minorées par le chercheur dans des proportions très importantes.

Autres similitudes, si le troisième Auguste Chen-nong est considéré comme l’inventeur de l’agriculture en chine, en Afrique c’est avec la descente du troisième verbe que les hommes reçurent l’enseignement de la culture. A cet enseignement venu avec la descente du troisième verbe est associé le jeu de ficelle, ce qui doit être rapproché du système de codification par des noeuds sur des cordes que Fou-Hi remplaça par les idéogrammes. En outre ce premier Auguste est considéré comme l’inventeur du calendrier et de l’utilisation des métaux, ce qui montre l’intrication entre un système de Signes, un Verbe et des Techniques.

À travers tous ces éléments, on voit que les choses sont beaucoup moins linéaires et hasardeuses qu’on ne l’imagine. Le Verbe, les Techniques et les Signes originels bien que rudimentaires, ont déjà en puissance toute la complexité à venir. La tradition d’Afrique dit que la fondation du monde demande des forces puissantes et efficaces, qualités dont sont dotés le Verbe, les Techniques et les Signes des premiers temps d’un grand cycle d’humanité. D’ailleurs certaines phases préparatoires des rituels contemporains font usage qui du Verbe, qui des Techniques, qui des Signes des premiers temps, en raison même de cette efficience à mobiliser les forces d’ordre primordial.

Ceci nous permet de revenir sur la figure de rhétorique de Philippe Sollers soulignant que les chinois “parlent leur écriture”. Il ne faut pas, bien sûr, entendre dans cette proposition qu’il y aurait antériorité de l’écriture sur la parole, mais bien concomitance. Cette concomitance vient d’ailleurs contredire l’idée selon laquelle les idéogrammes seraient nés des craquelures sur les os servant à la divination, c’est-à-dire bien après que l’homme soit entré dans la communication orale. Car lorsque cette faculté d’oralisation articulée est advenue, l’homme a en même temps tracé des signes et exécuté des techniques. Verbe, Signes et Techniques « retranscrivant » alors la même Réalité tout en ayant une efficience quant à la perpétuation de l’état d’Union originel à l’Harmonie Universelle, puisque lorsque tous ces aspects sont tenus en perfection par un être, celui-ci s’identifie alors à la Réalité d’où procèdent ces aspects.

Abordons maintenant le sujet du Taoïsme qu’il est difficile d’appréhender à partir des lieux communs théosophiques qui prévalent dans nos sociétés technologiques contemporaines.

Un premier élément auquel il faut veiller c’est de bien faire la distinction entre Confucianisme et Taoïsme. Il s’agit bien de deux doctrines en rapport avec deux enseignements complémentaires et successifs, enseignements qui étaient déjà parfaitement identifiés aux temps où le Yi King était en usage (il faut se rappeler que le Yi-King a été amené aux hommes par Fou-Hi et d’autre part considérer qu’il a très certainement été transmis oralement avant d’être fixé par écrit). Il s’agit en premier lieu de la Petite éducation (hexagramme Sia Tch’ou[3]) et en second lieu de la Grande éducation (hexagramme Ta Tch’ou[4]). L’une est une éducation législatrice et morale (dont Confucius deviendra l’ambassadeur lorsqu’il entrera dans l’histoire de la chine) alors que l’autre conduit à la transformation spirituelle de l’être pour atteindre, si ses qualités intrinsèques l’y destinent, l’état d’Union au Tao (finalité des Voies Taoïstes). Cette répartition correspond à la distinction entre les aspects exotérique et ésotérique de l’enseignement traditionnel, comme le souligne cet extrait Taoïste :

C’est que tu ne connais pas toute ma doctrine, n’ayant reçu de moi que l’enseignement exotérique, et non l’ésotérique. Ton savoir ressemble aux oeufs que pondent les poules privées de coq ; il y manque (le germe) l’essentiel.(Lie-Tzeu 2-L)”

Ce qui importe dans la pensée Taoïste pure c’est la transformation transcendante effective de l’être et non pas les préoccupations contingentes à cette réalisation, telles que par exemple la production artistique, la moralité ou toutes les spéculations que peuvent élaborer les individus. Cet extrait du commentateur Taoïste du Tao-Te-King, Tchoang-Tzeu explicite comment ces préoccupations deviennent, à un certain stade du cheminement spirituel, un frein à la transformation existentielle :

Flétrissez Tseng-chenn et Cheu-ts’iou (légistes), bâillonnez Yang-tchou et Mei-ti (sophistes), mettez au ban la formule bonté-équité (des Confucéistes), et les propensions naturelles pourront de nouveau exercer leur mystérieuse et unifiante vertu. Oui, revenons à la vue, à l’ouïe, au bon sens, aux instincts naturels, et c’en sera fait des éblouissements, assourdissements, errements et grimaces factices. Philosophes, musiciens, peintres, artistes divers, n’ont fait que tromper et pervertir les hommes, par des apparences spécieuses. Ils n’ont été d’aucune utilité vraie pour l’humanité.”

Bien entendu l’art en lui-même n’est pas rejeté et n’est pas considéré comme un mal en soi, parce qu’il est en quelque sorte le support privilégié de l’éducation exotérique (qui est la nature du confucéisme) qui a toute sa place dans l’organisation sociale traditionnelle Extrême-orientale. Mais ceux qui se destinent à l’accession à l’état d’Union, doivent s’affranchir des limitations inhérentes à la production artistique, comme par exemple celles qui maintiennent l’être dans l’exploration de l’existence par une interprétation spéculative de ce que perçoivent les sens physiques. Tchoang Tzeu dit ici que l’art et la production artistique ne doivent pas devenir des buts en soi. Ce qui importe c’est de cheminer expérimentalement vers le retour à l’état de “simplicité naturelle” (retour parce que cet état se rapporte à celui du nouveau-né) développant de mystérieuses “vertus unifiantes”. Cela renvoie à un autre commentaire sur l’art du tir à l’arc que je donne dans “Comprendre l’essence du Budo” au chapitre « Comment aborder une Voie traditionnelle » où le maître demande à son élève de savoir préalablement à tout enseignement quel est le but du tir à l’arc ; « Avant d’entreprendre il faut savoir pourquoi« . Il est intéressant d’ailleurs de noter que dans cette anecdote l’élève met trois ans à découvrir la nature du but de son art, ce qui est à mettre en corrélation avec les trois ans nécessaires pour se présenter au premier Dan de l’Aïkido, grade marquant l’entrée véritable dans la Voie. Ainsi la pratique d’un art traditionnel ne doit surtout pas être entreprise pour accroître sa renommée ou obtenir la reconnaissance des hommes, mais bien pour induire une transformation en soi. C’est la nature intrinsèque et particulière des techniques traditionnelles, dont les rythmes sont en conformité avec les rythmes cosmiques, qui rend efficient la mise à l’unisson du microcosme humain avec le Macrocosme. Lorsque cette identité est établie par la quête du geste parfait, le cheminant « trouve son centre » et le « place » au Centre du Monde. Cette accession préalable au Centre de toute chose est en quelque sorte l’idéal confucéen (il est la finalité de la petite éducation) rappelé par l’expression Tchoung Young, le Juste Milieu. Or ce très long processus n’est que le travail préliminaire nécessaire pour pouvoir commencer la véritable transformation et ascension spirituelle et pour pouvoir recevoir la Grande éducation, Ta-Tch’ou. Cette éducation n’est plus un enseignement s’appuyant sur les arts et les sciences humaines, c’est un enseignement procédant directement du Tao. Les leçons sont reçues en songes ou par l’intermédiaire de visions ou d’expériences spirituelles, telles que celles vécues par le Fondateur de l’Aïkido, comme le songe de la traversée du fleuve[5], ou encore cette expérience du combat avec son fantôme qu’il relate dans ses conférences sur Takemusu Aïki.

Alors que l’écrivain Philippe Sollers imagine que la tradition extrême orientale placerait la quintessence de la pensée dans la littérature plutôt que dans la théologie ou la philosophie, le Taoïsme affirme pourtant que l’être peut se fondre dans et vivre l’Ultime Réalité, par cessassions de toutes ses activités en rapport avec une extériorisation.

Ce retour, cette union, se font, non par action, mais par cessation. Tel un oiseau, qui, fermant son bec, cesse son chant, se tait. Fusion silencieuse avec le ciel et la terre, dans une apathie qui paraît stupide à ceux qui n’y entendent rien, mais qui est en réalité vertu mystique, communion à l’évolution cosmique. (Tchoang-Tzeu 12-H)”

Lorsque l’homme est intégralement uni à la Totalité Universelle, il perd la notion d’intérieur et d’extérieur, ce qui le place à la fois dans un état de Contentement Absolu (ce qui est appelé la Joie Céleste[6]) et à la fois comme un Coopérateur Céleste (perçu comme tel par les êtres n’étant pas encore Unis) parce que les hommes conçoivent les activités de son hypostase comme entièrement induites par le domaine de la Régence Universelle (identifié au domaine Céleste).

Un esprit est parfait, quand il est sans perception intérieure, sans tendance vers rien d’extérieur. La perfection, c’est être parfait, sans savoir qu’on l’est. (Tchoang-Tzeu 19-L)”

Il faut évoquer maintenant la grande triade Extrême-orientale, appelée aussi les Trois puissances (San Ts’ai) : Tien-Ti-Jen, Ciel-Sol-Homme. Philippe Sollers évoque le concept Taosite du Ciel, Tien, pour souligner qu’il se différencie grandement du thème de la Création chrétienne ou, en tout cas, des caricatures conceptuelles qui lui sont associées de nos jours. La pensée extrême-orientale considère les dix-mille hommes comme résultant de la distinction du Ciel (Tien) et du Sol (Ti). Le Ciel transforme, le Sol porte. Dans le Yi-king, le Tao-Te-King, le Nei Tching Sou Wen, c’est au couple Tien-Ti (ci-dessous) que l’on a affaire. L’un ne va pas sans l’autre.

Lorsque que la seule Puissance Tien est évoquée, c’est que le point de vue se restreint à la Volonté Céleste. Voilà des extraits du Nei Tching Sou Wen, le traité de physiologie humaine de l’Empereur Houang-Ti à la base de la médecine chinoise, qui montrent comment les Trois Puissances sont envisagées :

« Le Ciel c’est l’essence des choses, alors que le Sol est leur forme.« 

« Il est essentiel de comprendre que l’énergie vient de l’esprit qui, d’une manière absolue, commande son principe : toute énergie est totalement soumise à l’esprit.« 

« Puisque la règle veut que le Ciel commande le Sol, il faut toujours agir dans ce sens.« 

« Entre le Ciel qui la surplombe et le Sol qui la supporte, la création (la Manifestation) atteint sa perfection dans l’Homme, n’est-il pas vrai ?« 

« La vie physique de l’homme vient du Sol et sa vie mentale du Ciel, l’Union du Ciel et du Sol forme son énergie.« 

Ces trois puissances sont omniprésentes dans la tradition extrême-orientale. Les gloses associent le nombre Trois aux trois puissances. L’idéogramme Wang désignant le Souverain Pointife Suprême se dessine comme suit :

Le trait supérieur désigne le Ciel, le trait inférieur désigne le Sol et la croix centrale désigne la Perfection expansive et transcendante de l’homme : l’Homme Parfait. Ce Souverain est appelé le Fils du Ciel dans la mesure où sa fonction en fait un être exécutant le Mandat Céleste, le Mandat de la Volonté Universelle (Ce qui est en haut commande ce qui est en bas).

Autre exemple l’idéogramme Tchi du diagramme du Yin-Yang (T’ai Tchi, ci-dessous), représente un individu entre le Ciel et la Terre, avec à gauche une bouche pour signifier que l’homme terrestre doit se nourrir (dans le sens le plus étendu du terme) et à droite une main pour signifier que l’homme dispose de la faculté d’agir sur son environnement. Sa volonté individuelle peut s’exercer sur ce qui est autre que lui.

On voit ici que les idéogrammes dans leur forme originelle (qui étaient tracés au calame) ne sont nullement issus des formes craquelées observées sur les os en usage pour la science divinatoire, mais sont des représentations idéo-graphiques signifinantes.

Il faut savoir se préserver des illusions enfantées par l’exotisme d’un extrême-orient fantasmé. On voudrait faire de la doctrine Taoïste une gnose idéale qui viendrait surpasser et pourfendre la doctrine Chrétienne. Un système de pensée sans Dieu, sans Christ, sans institutions religieuses. Pourtant en portant attention aux paroles des Pères de l’Église Chrétienne, en sachant dévoiler la doctrine métaphysique enchâssée dans les Évangiles, on entend le même Verbe, la même Réalité, les mêmes significations existentielles, les mêmes raisons poussant à organiser les activités humaines en conformité avec l’Ordonnancement Universel. On découvre alors que ce qui est désigné par Dieu en occident correspond à la notion d’Être (T’ai Tchi) de la tradition Extrême-Orientale. On découvre que l’idéogramme désignant le nombre 10 sous forme d’une Croix est glosé comme désignant “le nombre contenant tous les autres”, sachant que le nombre Un “est l’Unité Primordiale source de tous les êtres”, c’est-à-dire que dix s’accorde au concept biblique de l’Alpha et de l’Oméga. Pourquoi ne pas entendre que le Christ est un Fils du Ciel, que son symbole est la Croix portant les mêmes significations que le nombre 10 extrême-oriental et qu’il est le Roi des hommes au même titre que le Wang chinois, “Lieu-Tenant” de la Volonté Universelle ?

Terminons cette contribution par l’évocation de l’organisation des textes dans la tradition chinoise, en tout cas telle qu’elle a été structurée par les confucéens :

Classiques du Taoïsme

Le Classique de la voie et de la vertu (道德经, Tao Te King)

Le Tchouang Tzeu (庄子 Tchouang Tzeu)

Le Lie Tzeu (列子 Lie Tzeu), le vrai classique du vide parfait

Les Cinq Classiques (五经 Wou King)

Le Classique des mutations (易经, Yi King)

Le Classique des vers (诗经, Shi King)

Le Classique des documents (书经, Shou King)

Le Livre des rites (礼记, Li King)

Les Annales des Printemps et des Automnes (春秋 Tchun Tsieou)

Le Classique de la musique (乐经, Yue King)

Les Quatre Livres (四书, Seu Chou)

Les Entretiens de Confucius (Analectes de Confucius ou 论语 Lun Yu)

Le Mencius (孟子 Meng Tzeu)

La Grande Étude (大學, 大学)

L’Invariable Milieu (中庸 Tchoung Young)

Autres classiques du Confucianisme

Le Classique de la piété filiale (孝经 Hiao King)

On s’aperçoit à nouveau que prévaut un découpage entre Taoïsme et Confucianisme. Mais il ne faudrait pas attacher une trop grande importance à tous ces livres[7]. Parce que s’Unir au Tao, n’est pas un processus de compréhension intellectuel, mais c’est avant tout un processus de changement de participation existentielle au monde. Ce changement consiste à annihiler son âme individuelle[8] dans l’Âme du Monde[9]. C’est une expérience intégrale de l’être. Aussi, méditer sur les King n’est qu’un aspect contingent de l’éducation traditionnelle. Comme il a déjà été dit, l’enseignement traditionnel s’articule autour des trois aspects Verbes, Signes et Techniques à travers une transmission de Maître à élève dans des Voies dont l’une des prérogatives est d’être détentrices par délégation d’influences spirituelles désignées par l’idéogramme Chen (ci-dessous) et que le Fondateur désigne par l’expression “les cordons du lien du Ki Universel” :

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  1. Voir notre étude “San Mitsu” dans ce numéro du Roi Dragon
  2. Cet objet de connaissance est un corpus doctrinal constitué d’une ensemble d’arts et de sciences traditionnels permettant la transformation spirituelle de l’homme.
  3. Sentence : L’éducation insuffisante est comme un nuage venu de l’ouest qui ne libérerait pas de pluie.1. Il y a de la joie à rester naturel.2. Il faut inciter les autres à rester naturels.3. La mésentente entre mari et femme est désastreuse: c’est comme un char qui a perdu ses roues.

    4. L’homme franc montre ses sentiments, que les grands respectent.

    5. Le juste aime son voisin et partage ses biens.

    6. Tout doit être à sa place tôt ou tard: rien de tel qu’un orage pour purifier l’air.

  4. Sentence : Une grande éducation rend sûr de soi et pousse à la perfection.1. Devant le danger, il vaut mieux rompre que chercher à vaincre par la force.2. Quand le char est en difficulté…3. Il n’y aura pas d’accident si les chevaux sont bien dressés.

    4. Le joug est le seul moyen de dresser un bœuf aux travaux des champs.

    5. Le sanglier châtré a des défenses inoffensives.

    6. Le ciel est grand, et long à parcourir.

  5. Voir “Comprendre l’essence du Budo” où ce songe est évoqué.
  6. Bien comprendre la nature de l’influx du ciel et de la terre, qui est une non-intervention bienveillante et tolérante, voilà la grande racine, l’ entente avec le ciel. Pratiquer une non-intervention analogue dans le gouvernement de l’empire, voilà le principe de l’entente avec les hommes. Or l’accord avec les hommes, c’est la joie humaine, le bonheur sur terre ; l’accord avec le ciel, c’est la joie céleste, le bonheur suprême.Tchoang-Tzeu 13-A.“Saisir les fils du devenir, avant l’être, alors qu’ils sont encore tendus sur le métier à tisser cosmique, voilà la joie céleste, qui se ressent mais ne peut s’exprimerTchoang-Tzeu 14-C.
  7. Voici un extrait du commentaire de Tchoang-Tzeu (13-I) mettant en scène un Maître Charron parlant à un Duc de l’impuissance des textes à conduire à l’état de Maîtrise. “Les anciens Sages défunts dont vous lisez les livres, ont-ils pu faire mieux que moi ? Ont-ils pu déposer, dans leurs écrits, leur truc, leur génie, ce qui faisait leur supériorité sur le vulgaire. Si non, les livres que vous lisez ne sont, comme j’ai dit, que le détritus des anciens, le déchet de leur esprit, lequel a cessé d’être.
  8. Dépouillez votre personnalité (litt. laissez tomber votre corps comme un habit), renoncez à l’usage de vos sens, oubliez les relations et les contingences, noyez-vous dans le grand ensemble, défaites-vous de votre volonté et de votre intelligence, annihilez-vous par l’abstraction jusqu’à n’avoir plus d’âme. (Tchoang-Tzeu 11-D)”
  9. – On vous a mal renseigné, en vous disant que je vois avec mes oreilles et que j’entends avec mes yeux ; un organe ne peut pas être employé pour un autre.

    – Peu importe, dit le prince ; je désire connaître votre doctrine.

    – Voici, fit K’ang-ts’ang-tzeu : Mon corps est intimement uni à mon esprit ; mon corps et mon esprit sont intimement unis à la matière et à la force cosmiques, lesquelles sont intimement unies au néant de forme primordial, l’être infini indéfini, le Principe. Par suite de cette union intime, toute dissonance ou toute consonance qui se produit dans l’harmonie universelle, soit à distance infinie soit tout près, est perçue de moi, mais sans que je puisse dire par quel organe je la perçois. Je sais, sans savoir comment j’ai su ! (Lie-Tzeu 4-B)”

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