Le Roi Dragon N°18 – Revenir à la simplicité primordiale

« Aussi faut-il attendre l’Éveil pour que le véritable budo puisse exister. »
Takemusu Aïki », Morihei Ueshiba, éditions du Cénacle, Vol. III, page 77

« C’est par la descente au pays des morts d’où s’était échappée la vie d’Izanagi qu’il faut accomplir l’Eveil. »
« Takemusu Aïki », Morihei Ueshiba, éditions du Cénacle, Vol. III, page 80

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Ces énigmatiques paroles de O’Sensei laissent entendre deux choses. D’une part que la véritable pratique de l’Aïkido commence après s’être transformé spirituellement. D’autre part que cette transformation, qui met en jeu des modifications relatives aux états posthumes, peut être réalisée de son vivant.

Cette nécessité de passer par l’expérience de la mort à soi pour atteindre l’éveil n’est pas propre à l’aïkido. C’est un processus universel que l’on retrouve dans toutes les traditions offrant des institutions permettant d’atteindre un état d’union à la Totalité Universelle. Le Taoïsme le formule de deux façons. D’une part comme la perte totale de l’âme :

— Etre céleste, fit Yunn-tsiang, j’ai eu beaucoup de peine à vous trouver ; de grâce, veuillez m’instruire.

— De fait, dit Houng-mong, vous avez grand besoin d’apprendre. Ecoutez donc !.. Commencez par n’intervenir en rien, et tout suivra naturellement son cours. Dépouillez votre personnalité (litt. laissez tomber votre corps comme un habit), renoncez à l’usage de vos sens, oubliez les relations et les contingences, noyez-vous dans le grand ensemble, défaites-vous de votre volonté et de votre intelligence, annihilez-vous par l’abstraction jusqu’à n’avoir plus d’âme.
Tchoang-Tzeu 11-D

D’autre part comme la réduction de son moi distinct et de son mouvement particulier à presque rien :

Lie-tzeu demanda à Yinn (Yinn-hi), le gardien de la passe, confident de Lao-tzeu :

— Le sur-homme pénètre tous les corps (pierre, métal, dit la glose) sans éprouver de leur part aucune résistance ; il n’est pas brûlé par le feu ; aucune altitude ne lui donne le vertige ; pour quelle raison en est-il ainsi, dites-moi ?

— Uniquement, dit Yinn, parce qu’il a conservé pur et intact l’esprit vital originel reçu à sa naissance ; non par aucun procédé, aucune formule. Asseyez-vous, je vais vous expliquer cela. Tous les êtres matériels ont chacun sa forme, sa figure, un son, une couleur propre. De ces qualités diverses, viennent leurs mutuelles inimitiés (le feu détruit le bois, etc.). Dans l’état primordial de l’unité et de l’immobilité universelles, ces oppositions n’existaient pas. Toutes sont dérivées de la diversification des êtres, et de leurs contacts causés par la giration universelle. Elles cesseraient, si la diversité et le mouvement cessaient. Elles cessent d’emblée d’affecter l’être, qui a réduit son moi distinct et son mouvement particulier à presque rien. Cet être (le Sage taoïste parfait) n’entre plus en conflit avec aucun être, parce qu’il est établi dans l’infini, effacé dans l’indéfini. Il est parvenu et se tient au point de départ des transformations, point neutre où pas de conflits (lesquels ne se produisent que sur les voies particulières). Par concentration de sa nature, par alimentation de son esprit vital, par rassemblement de toutes ses puissances, il s’est uni au principe de toutes les genèses. Sa nature étant entière, son esprit vital étant intact, aucun être ne saurait l’entamer.
Tchoang-Tzeu 19.B

Dans le soufisme il est fait état de la notion d’Annihilation (el fana), ou de l’évocation des paroles du Prophète “Meurs avant que tu ne meures.”

En Afrique occidentale et plus particulièrement chez les Dogons, les hommes sont maintenus dans leurs états spirituels optimums par la perpétuation des rites qui ont été rendus nécessaires suite à l’apparition de la mort. Dans la pensée Dogon, la mort est l’expression de la rupture entre deux domaines où l’être ne participe pas à la cohésion universelle de la même façon. Dans l’un la vie est sans limites et non conditionnée dans l’autre la vie incarnée, transitoire mais perpétuée par l’intermédiaire de la procréation. Ces deux domaines restent concomitants.

Chez les Sioux Lakota l’accès à l’état où une Grande Vision (Wakanya Wowanyanke) peut survenir est généralement précédé d’une expérience totalement assimilable à de mort, comme le relate ici le Grand Sage sioux Elan Noir :

Quand je me suis de nouveau trouvé avec mon père et ma mère, assis dans notre tente, mon visage était toujours boursouflé et mes jambes et mes bras étaient très enflés. Mais je me sentais bien et je voulais déjà me lever et courir alentour. Mes parents n’ont pas voulu. Ils m’ont dit que j’avais été malade douze jours, étendu comme mort pendant tout ce temps, et que Chasseur-de-Tourbillons, (Whirlwind Chaser), qui était l’oncle d’Ours-Debout et medecine-man, m’avait ramené à la vie. Je savais que c’étaient les Grands-Pères de la tente de l’arc-en-ciel qui m’avaient guéri.

Puis il [Chasseur-de-Tourbillon] a dit à mon père : “Ton garçon est assis d’une manière sacrée. Je ne sais pas ce que c’est, mais il sera appelé à accomplir une tâche spéciale, car tandis que j’arrivais, j’ai vu un pouvoir semblable à une lumière qui émanait de son corps” »

Ces paroles peuvent être mises en rapports avec celles de O’Sensei :

« La grande divinité Roi Dragon Ame-no-muraku-nokuki-samuhara, c’est l’apparence de l’origine de Takemusu. Dit de façon plus simple, c’est la grande divinité qui purifie en un instant tous les démons et les mauvais esprits. Que cette divinité pénètre ma chair, comme le font les vaisseaux sanguins, c’est quelque chose d’extraordinaire. Je me demandais comment il était possible que cela se produise pour quelqu’un comme moi. Tout en pensant à cela, je n’y ai pas pris garde et je suis tombé malade. J’étais malade à en mourir. J’ai souffert pendant environ un an. Mais au beau milieu de cette maladie, je me suis Éveillé. »

Il est à noter que les Dogons utilisent l’euphémisme Grande Fatigue pour qualifier l’effet induit par la mise en relation de l’homme avec les Influences Spirituelles lors du grand rite soixantenaire du Sigui.

Cet état de mort décrit par les sages des différentes traditions est illustré dans le soufisme par l’image d’une chandelle qui s’éteint puis se rallume à la Flamme Divine. La descente au pays des morts, dont parle O’Sensei correspond à une phase d’épuisement. l’Éveil correspond à une phase de renaissance ou pour le dire autrement, à un processus de régénération, ou encore à l’expérience de l’onction.

Cette phase intervient au milieu du processus de l’initiation et la réalisation spirituelle.

Dans le système Kyu/Dan que certaines voies extrême-orientales ont adopté, les Kyu sont les étapes précédant l’initiation. Le premier Dan marque l’entrée dans la voie donc correspond à l’initiation. S’ensuit un processus horizontal jusqu’au 5ème Dan. Le 5ème Dan est en rapport avec la croisée des chemins (c’est la signification de la graphie de l’idéogramme 5) et marque le début de la réalisation spirituelle proprement dite que l‘on peut identifier à un processus vertical.

Il est important de souligner, comme cela est sous-tendu dans la parabole soufie de la chandelle, que la transformation spirituelle nécessite une proximité avec la Flamme Divine pour que l’extinction puisse être suivie par un ré-embrasement. Cette possession du lien qui donne accès à la proximité avec la Flamme Divine (le Fondateur l’identifie au Cordon du Lien du Ki Universel) est ce qui fait la spécificité des voies spirituelles. Celle-ci est enchâssée dans un autel et/ou dans la structure constitutive même d’un Gardien de la voie.

L’initiation est donc une mise à proximité de l’impétrant avec la Flamme Divine et non un lien effectif (cette tâche est l’opération réalisée lors de la phase horizontale qui suit l’initiation). Elle requiert donc que l’impétrant, tout au long de son cheminement vers l’étape de l’extinction, maintienne continument les conditions de proximité (avec l’autel primordial ou un autel secondaire et/ou avec le Gardien de la Voie ou l’un de ses lieutenants [les Shihans en Aïkido]). Sans cette proximité l’extinction ne sera pas suivie du ré-embrasement.

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