N°1 – Philippe – San Mitsu : Les Trois Mystères, Trois aspects de la Réalité Ultime

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Ce concept que l’on pense être spécifique au bouddhisme japonais est en fait intrinsèque à la constitution même des voies traditionnelles de quelque peuple traditionnel de la terre que ce soit.

Comme nous allons le voir par l’étude étymologique des trois idéogrammes, ces trois mystères du bouddhisme japonais correspondent à des attributs universels que l’on retrouve dans toutes les doctrines de l’Unité que sont le Verbe, la Geste, l’Entendement. Ils sont généralement traduits par Parole, Geste et Pensée.

Sans doute est-ce le Verbe qui nous est le plus facilement accessible dans la mesure où ce concept est largement couvert par la tradition chrétienne : « Au commencement était le Verbe« .

Ce que j’ai interprété par “la Geste” doit être envisagé comme une Manière d’être conforme à la tradition enchâssée dans les fables, les légendes et les mythes.

Enfin, l’Entendement ou le Signe a rapport à la signification que l’on associe à une forme, une parole, un mouvement.

Après cette brève présentation, étudions maintenant les idéogrammes San Mitsu.

Gloses tirées d’un dictionnaire chinois

San est tout simplement le chiffre Trois, que les gloses commentent comme le nombre en rapport avec les trois puissances, le Ciel, La Terre, l’Humanité. Cela est à mettre en relation avec la formule Taoiste :

« Du Tao procéda Un, puis de Un procéda Deux, puis de Deux procéda Trois, à partir de Trois tous les êtres se manifestent. »

Il faut comprendre dans cette formule que le Tao est ce qui est au-delà de toutes les déterminations, qu’il est sans aucune limite, immuable, hors de toute durée et toute localisation et que tout ce qui existe distinctement, procède précisément d’une détermination de possibilités intrinsèques au Tao, mais sans que cela ne sorte du Tao, car il n’existe rien hors de la Totalité Universelle, sans quoi ce ne serait pas la Totalité. Il faut aussi comprendre que ce qui existe distinctement est constitutionnellement triple, et donc transitoirement fait de composantes de nature Céleste, de composantes de nature Terrestre et de composantes réalisant la cohésion des deux premières sortes.

Mitsu, est un idéogramme composé de trois radicaux, une grotte a l’intérieur de laquelle se trouve une flèche tranchant un “doute” au dessus du radical désignant la montagne. Mitsu est donc bien le « Mystère » qui est une réalité (ce qui est au-delà du doute), ultime (au dessus du sommet de la montagne) qui se tient cachée (dans la grotte).

Le concept San Mitsu énonce quel est le moyen d’accéder à la Réalité Ultime se tenant cachée derrière l’apparent. Il énonce la faculté dont dispose intrinsèquement l’être, de s’unir à cette Réalité en réalisant l’accomplissement de trois perfections à travers une triple rectitude, rectitude de la parole, rectitude de l’entendement, rectitude de la manière d’être.

L’étude des idéogrammes désignant les trois aspects de la réalité ultime, va compléter cette définition.

Shingon, 真言, le Verbe.

L’idéogramme à gauche désigne ce qui est parfaitement vrai. Les gloses disent « l’objet ayant été placé sur un piédestal (le radical inférieur), bien en vue (l’œil central), dix yeux (l’œil surmonté du radical dix) n’ont pu y découvrir aucune erreur, aucune faute« . Mais cet idéogramme est surmonté d’un radical désignant un homme retourné pour signifier la transformation spirituelle induite par l’enseignement taoïste. Ce radical qui se prononce Tchenn en chinois, associé à Jen désigne l’Homme Véritable, l’avant-dernier état du processus de transformation spirituelle taoïste, le dernier étant « Chenn Jen« , l’Homme Transcendant, qui est considéré comme un Coopérateur Céleste (voir le chapitre « Les états multiples de l’être » de l’ouvrage « Comprendre l’essence du Budo« ). L’idéogramme à droite quant à lui désigne l’action de parler. Cet idéogramme est extrêmement riche et intéressant parce qu’il va nous permettre de retrouver le concept du péché originel de la tradition chrétienne. En effet cet idéogramme est composé de trois radicaux qui sont de haut en bas, le Tao, un pilon, une bouche. Les deux traits au sommet d’un idéogramme désignent généralement ce qui est supérieur, mais aussi le domaine où Yin et Yang sont contenus indistinctement et en plénitude, c’est-à-dire que ce doublet désigne le domaine où tout est en plénitude, où la conscience d’être est la Conscience Universelle.

Les deux radicaux supérieurs pris ensemble, désignent le péché qui peut être vu comme l’action de dissociation induite par l’apposition d’un nom à une chose, ce qui revient en quelque sorte à penser. En effet, donner un nom à une chose ou exercer la faculté de réflexion (se concevoir distinctement), revient à s’extraire de son état d’union à la Totalité Universelle, au Tao, ce qui en ce sens constitue un péché. Il est extrêmement significatif que le Tao Te King commence par cet énoncé « Lorsque l’on évoque le Tao ce n’est pas le Tao dans son immutabilité ». En revenant donc à l’idéogramme de droite de Shingon, on comprend que l’oralisation est toujours une opération effectuant une dissociation au sein même de l’Existence Universelle. Mais cette parole véritable possède la vertu de préserver l’unité de la diversité existentielle. Il faut aller cependant encore un peu plus loin, parce que l’idéogramme de droite est considéré aussi comme une exhalaison, une expectoration profonde de l’être. Les gloses disent que c’est le « son du cœur« . Cette parole émise portera donc en elle les qualités de l’état spirituel de l’être. Selon les dogons la parole contient le nyama de l’être, le nyama étant homologable au Ki japonais. On comprend alors pourquoi on dit que le Kiaï a des facultés actives sur l’environnement. Et c’est en vertu de cette puissance de la Parole que les prêtres shintoïstes peuvent consacrer un objet, un lieu ou un être par l’énoncé d’une parole particulière.

Passons maintenant à Ingei, 印契, la Manière d’être.

A nouveau il s’agit de l’association de deux idéogrammes. Celui de gauche représente une main qui tient un sceau. Les gloses le commentent comme « une main qui tient une pièce de jade : le sceau de la charge ». Ce sceau de jade a rapport avec la fonction temporelle des souverains chinois, coréens, vietnamiens ou japonais. C’est en quelque sorte le pouvoir délégué par l’autorité spirituelle à une personne dont la qualité intrinsèque lui donne le droit d’exercer un pouvoir législateur par rapport à l’ordonnancement correct des actes des hommes, en vue de préserver la possibilité de transformation spirituelle optimum de tous. L’idéogramme de droite désigne « les titres de propriété d’un homme ». Il est composé de trois radicaux ; en haut à gauche ce qui permet de fixer une signification conventionnelle, qui fût représenté une ficelle dans les temps mythiques ; en haut à droite, des entailles faites avec un couteau sur des lamelles de bois ; en bas, un homme. On comprend donc que cet idéogramme peut très bien recouvrir le sens de « la Geste » dont nous parlions en introduction, où l’homme incarne par sa gestuelle les significations conventionnelles que partage un groupe d’hommes. C’est alors l’idéogramme de gauche d’Ingei qui fixe le caractère sacré et transcendant de cette Geste.

Zen, 禪, l’Entendement, est un idéogramme composé de trois radicaux.

Celui de gauche est Chéu en chinois , qui est l’idéogramme originel pour désigner les Kami en Japonais.

Kami ou Chen en chinois désigne les influences spirituelles, que le Fondateur appelait quant à lui « les cordons du lien de l’Âme Universelle« . Il est impossible sauf dans des cas très exceptionnels, d’accéder aux états transcendants tels que Tchenn Jen et Chenn Jen , pour ne citer que les deux derniers, si l’on ne dispose pas du moyen de se mettre en lien avec ces Influences Spirituelles. Partout sur la terre, que ce soit chez les Sioux, chez les Bambaras, chez les Amazoniens, chez les Chrétiens, chez les Soufis, chez les Extrême-orientaux, etc.. partout où il existe des Voies destinées à la transformation spirituelle, il y a un autel, humain (Do Shu pour l’Aïkido) ou non (un autel dans une forge par exemple pour la Voie artisanale des forgerons) qui est le réceptacle sacré de composantes psychiques particulières permettant la mise en lien des cordons du lien de l’individu entré dans la Voie avec les cordons du lien de l’Âme Universelle.

L’idéogramme Chen est composé par un double trait horizontal (domaine où tout est en plénitude) et trois traits descendants (« à partir de trois tout exist e »), ce qui signifie que ces influences offrent la possibilité de réaliser le passage du Trois au Deux, ainsi que du Deux au Trois. Ce passage est également figuré dans l’idéogramme Tao, par l’ouverture de la tête en haut à droite.

Les deux radicaux à droite de l’idéogramme Zen, désignent ce qui est simple. Le radical inférieur représente une fourche pour signifier l’action de rejeter quelque chose : ici les deux bouches qui désignent des cris ou un flot de paroles. Ainsi Zen est l’entendement profond (parfois Zen est parfois traduit par contemplation), c’est-à-dire l’accès aux significations prises au-delà de la racine du monde (le radical de droite), celles qui sont au-delà (la fourche permettant de rejeter) des mots. En cet état on « voit dans les ténèbres du Principe, on entend le Verbe muet du Principe (Tchoang-Tzeu 12-C) » (le Tao), c’est-à-dire que l’être « contemple » l’unité de la Multitude lorsque sa conscience est annihilée en la Conscience Universelle.

Nous voyons là les significations très profondes qu’il est possible de retirer de l’interprétation étymologique des idéogrammes en retournant à leur tracé au calame. On comprend alors mieux de quel ordre est la triple rectitude que doit accomplir le pratiquant des voies traditionnelles.

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