Le Roi Dragon N°17 – Pour ma future formation religieuse que me conseilles-tu ?

Au mois de novembre dernier, la jeune fille d’un de mes élèves m’interpelle et me demande :

Pour ma future formation religieuse que me conseilles-tu : Shintoïsme ou Taoïsme ?

Ma jeune amie, je suis vraiment très honoré et très concerné par la question que tu me poses. La réponse est vaste, considérablement vaste. Elle est complexe aussi parce que l’existence, la vie, la conscience sont complexes.

Je pourrais te dire tout simplement choisi celui-ci plutôt que celui-là. Je pourrais aussi te dire, étudie les deux. Mais ça ne t’aiderait pas.

Je vais essayer de te guider plus fermement.

Pour essayer de t’expliquer ce qu’est une religion (je préfèrerai dire “doctrine de l’unité” ou “tradition” à la place de religion, mais je t’expliquerai une autre fois pourquoi), je vais faire une comparaison avec quelque chose que tu connais. La meilleure comparaison que j’ai trouvée pour le moment est celle avec la musique et plus particulièrement avec la musique classique.

Tu le sais, dans l’art musical il y a des compositeurs ayant écrit des partitions (symphonies, concertos, chants, etc..), des musiciens, un chef d’orchestre et un public. En parallèle, il y a des écoles pour permettre aux musiciens et aux chefs d‘orchestre de se former et de se perfectionner. Il y a aussi des artisans compagnons qui construisent les instruments.

Voilà comment il est possible d’établir une similitude entre la musique et la religion. La religion lorsqu’elle est pleinement vivante est comme un orchestre qui joue une partition d’une oeuvre musicale. L’oeuvre est donnée aux humains par l’intermédiaire d’un Compositeur que l’on peut identifier aux Prophètes dans les religions. Ce Compositeur-Prophète est un intermédiaire entre les hommes et la Beauté. Par son intuition, il a réussi à puiser quelque chose de Beau dans la Beauté. Je pourrais dire que cette Beauté est un aspect du monde Divin.

C’est volontaire si je n’emploie pas le mot Dieu, parce que, hélas, aujourd’hui tout le monde l’emploi à tort et à travers, si bien que l’on ne sait plus de quoi il retourne. Lorsque deux personnes disent Dieu, elles ne le conçoivent pas forcément de la même façon. Cela est l’origine de grands désaccords entre les gens. En plus, on raconte très souvent n’importe quoi à propos des croyances des différents peuples de la terre. Par exemple, certains disent que le Tao est le Dieu des Chinois, alors que dans le Taoïsme il n’y a pas de Dieu créateur. En fait, ce qui se rapproche le plus du Dieu créateur du Christianisme, c’est le principe que l’on appelle Tai Tch’i. L’idéogramme chinois s’écrit comme ça :

Il se dessine comme ça, tu connais ce symbole :

Le Tao s’est écrit il y a très longtemps comme ça :

Le dessin représente un habit délimitant l’intérieur et l’extérieur de l’être. A l’intérieur il y a un oeil et une main pour dire que lorsque l’individu est uni au Tao, il dispose d’un oeil et d’une main intérieurs. L’oeil (on dit parfois le troisième oeil) lui permet de voir des choses invisibles aux yeux physiques. La main intérieure signifie qu’il peut agir par l’intermédiaire d’une main non physique.

Je te donne ci-dessous l’idéogramme moderne et quelques indications sur la façon dont on peut le lire :

On pense souvent que les Africains, les Amérindiens, les asiatiques, etc.. croyaient en de multiples dieux. Beaucoup de gens affirment qu’ils sont polythéistes. C’est là une très grande méprise, parce que les Dogons (peuple africain), par exemple, pensent que le Monde est né d’un Principe Suprême Unique appelé Amma. Les Sioux pensent la même chose et le nome Wakan Tanka. Si l’on étudie attentivement la pensée des autres peuples, on se rendra compte qu’il y a toujours un principe ultime et unique qui est la source de toute la diversité.

Il y a d’autres erreurs comme par exemple lorsque l’on dit que ces peuples ne possèdent pas de systèmes d’écriture. Cette affirmation est trompeuse parce que s’ils ne possèdent pas d’écriture retranscrivant la parole, ils possèdent par contre des systèmes de signes idéographiques très nombreux (un idéogramme est un dessin qui représente une idée) qui permettent de représenter la réalité infiniment complexe du Monde. Ces systèmes de signes idéographiques sont si puissants qu’ils permettent d’exprimer des choses de l’existence que l’écriture syllabique est incapable de faire.

Mais revenons à la comparaison entre musique et religion.

Pour interpréter l’oeuvre il y a les musiciens, ce qui pour les religions correspond à tous les individus qui sont engagés dans les voies (j’essaierai de t’expliquer un peu mieux ce que sont ces voies une autre fois, mais je peux te dire tout de suite qu’une religion sans voies est une religion morte). Les voies permettent à certains hommes de devenir des sages ou des Maîtres dans un art particulier (des hommes éveillés).

Pour coordonner idéalement les musiciens et donner des indications sur le sens de l’oeuvre (pour que les interprètes sachent comment jouer leur part de l’oeuvre) il y a le chef d’orchestre. Sur le plan des religions, ces êtres sont les prêtres qui ne sont pas forcément des musiciens pratiquant un instrument (parmi les instruments il faut inclure la voix du chanteur).

Enfin le public est là pour écouter et voir (on pourrait dire gouter) l’interprétation de l’oeuvre. Il bénéficie ainsi des influences bénéfiques engendrées et diffusées par les individus agissant à l’unisson pour produire une oeuvre artistique harmonieuse. Sur le plan religieux, le public représente les individus qui ne sont pas engagés dans les écoles transformatrices (les voies).

Là je te donne une image très générale qui te permet de faire une comparaison simple entre la musique et la religion pour que tu comprennes mieux comment fonctionne une religion. Cette image peut aider à répondre à des questions subtiles. Par exemple si tu te demandes : à quoi sert une religion, demande-toi : à quoi sert la musique. Oui, c’est une question très subtile parce qu’elle ne concerne pas les besoins vitaux de l’individu. Il est beaucoup plus facile de répondre par exemple à : à quoi sert la nourriture, à quoi sert de respirer ? Tu répondras tout de suite : pour continuer à vivre tout simplement.

Mais tu sais qu’il y a des choses qui ne sont pas immédiatement vitales pour l’individu qui peuvent cependant avoir un effet sur son bien-être au bout d’un certain temps. Par exemple la qualité de la nourriture à une importance pour la santé. Si tu manges une nourriture avariée ou de mauvaise qualité tu vas finir par te sentir faible et tomber malade. Tu pourrais même mourir si tu mangeais du poison. De la même façon la qualité de l’air à de l’importance. Si tu vis dans un lieu pollué par des rejets toxiques tu peux tomber malade. Et si tu respires un air sans oxygène, tu meurs.

Il y a aussi les actions qui peuvent t’être néfastes. Si tu te rends dans un endroit dangereux (au bord d’une falaise) ta vie peut être en jeu. Ou encore, si tu t’associes à des personnes néfastes tu risques aussi de te retrouver dans des situations ou ta vie est menacée.

Mais parfois les choses se font malgré toi. Tu peux manger un aliment avarié sans le savoir. Tu peux te retrouver dans un lieu dangereux sans l’avoir voulu.

L’individu est donc dans un monde où tout est en mouvement, où tout change. L’individu ingère des éléments de ce monde et agit sur des éléments de ce monde. En chine il y a un idéogramme pour représenter cette situation, c’est l’idéogramme Tchi de Tai Tchi dont je t’ai parlé tout à l’heure. Il se dessine de cette façon :

A droite un homme tourné vers la gauche entre deux traits horizontaux. Un trait pour le Ciel, un Trait pour le Sol. A gauche une bouche pour dire que l’individu se nourrit et respire. A droite une main pour dire que l’homme peut agir sur le monde et aussi que des forces extérieures peuvent agir sur l’individu. A gauche un arbre, dont les racines s’enfoncent dans le sol et dont les branches s’élèvent vers le ciel. Les sages chinois pensent que l’individu est comme un arbre, il peut s’élever vers le Ciel et s’enraciner dans le Sol.

Sur toute la terre, l’arbre est un symbole très puissant. Il est très souvent utilisé comme image pour représenter la vie, l’existence. L’arbre partant d’une graine sous le sol sort de la terre et s’élève vers le ciel tout en s’enfonçant dans le sol toujours plus profondément. Il se déploie aussi horizontalement.

L’arbre produit des fruits contenant des graines, qui elles aussi germeront et se développeront. Il y a dans cette image l’idée de l’engendrement indéfini des êtres dans le temps et dans l’espace. L’idée de la persistance de la vie malgré la durée transitoire de l’existence individuelle.

L’individu est donc un être qui se développe au fur et à mesure que le temps passe et qui doit ajuster en permanence ses actes et la qualité de son comportement pour préserver son état de santé et pour essayer d’accroître son état de bonheur. Il se nourrit physiquement, psychiquement et mentalement. Il construit aussi son propre univers en agissant physiquement, psychiquement et mentalement sur son environnement.

Si tu te rappelles de ce que je t’ai dit tout à l’heure lorsque je comparais la musique et la religion, j’ai identifié la religion à une oeuvre musicale et à toutes les éducations et sciences nécessaires pour que l’oeuvre puisse être jouée.

La religion dans son sens le plus complet ne consiste donc pas à “croire” que l’on peut jouer une oeuvre, mais elle est une école qui propose une éducation intégrale (physique, psychique et intellectuelle) qui rend capable de jouer de l’instrument avec lequel on est en affinité.

“Jouer de l’instrument avec lequel on est en affinité” dans la vie cela veut dire, “réaliser avec excellence notre mission d’être humain”. Les sages Chinois pensent que l’Univers, ou plutôt que tous les temps, tous les êtres, tous les lieux, est comme une grande symphonie. Voilà ce que dit le sage taoïste Tchoang-Tzeu :

Quand j’ouïs exécuter votre symphonie Hien-tch’eu, près du lac Tong-t’ing, la première partie me fit peur, la seconde m’étourdit, la troisième me causa une sensation de vague, dont je ne suis pas encore remis.

— Cela devait être, dit l’empereur. Cette symphonie renferme tout. C’est une expression humaine de l’action céleste, de l’évolution universelle.

La première partie exprime le contraste des faits terrestres qui arrivent sous l’influence céleste ; la lutte des cinq éléments ; la succession des quatre saisons ; la naissance et la décadence des végétaux ; l’action et la réaction du léger et du lourd, de la lumière et de l’obscurité, du son et du silence ; le renouveau de la vie animale, chaque printemps, aux éclats du tonnerre, après la torpeur de l’hiver ; l’institution des lois humaines, des offices civils et militaires, etc. Tout cela, ex abrupto, sans introductions, sans transitions ; en sons heurtés, suite de dissonances, comme est la

chaîne des morts et des naissances, des apparitions et des disparitions, de toutes les éphémères réalités terrestres. Cela devait vous faire peur.

« La seconde partie de la symphonie rend, en sons doux ou forts, prolongés et filés, la continuité de l’action du yinn et du yang, du cours des deux grands luminaires, de l’arrivée des vivants et du départ des morts. C’est cette suite continue à perte de vue, qui vous a étourdi par son infinitude, au point que, ne sachant plus où vous en étiez, vous vous êtes appuyé contre le tronc d’un arbre en soupirant, pris du vertige et de l’anxiété que cause le vide.

La troisième partie de la symphonie, exprime les productions de la nature, le devenir des destinées. De là des effervescences suivies d’accalmies ; le murmure des grands bois, puis un silence mystérieux. Car c’est ainsi que les êtres sortent on ne sait d’où, et rentrent on ne sait où, par flots, par ondes. Le Sage seul peut comprendre cette harmonie, car lui seul comprend la nature et la destinée. Saisir les fils du devenir, avant l’être, alors qu’ils sont encore tendus sur le métier à tisser cosmique, voilà la joie céleste, qui se ressent, mais ne peut s’exprimer. Elle consiste, comme l’a chanté Maître Yen, à entendre ce qui n’a pas encore de son, à voir ce qui n’a pas encore de forme, ce qui remplit le ciel et la terre, ce qui embrasse l’espace, le Principe, moteur de l’évolution cosmique. Ne le connaissant pas, vous êtes resté dans le vague.

Tous les sages qui ont vécu des expériences spirituelles affirment que la vie incarnée dans un corps n’est pas la seule vie possible. Ils affirment grâce à leur expérience, grâce à la longue transformation qu’ils ont réalisée par la pratique des techniques de leur Voie, que la conscience individuelle peut s’absorber dans une conscience beaucoup plus vaste. Partout sur la Terre, les hommes et les femmes qui ont gouté à cette conscience universelle nous demandent de ne pas nous endormir, de ne pas vivre sans penser à ce que nous faisons de nous entre notre naissance et notre fin corporelle.

Il est important de réfléchir sur la conscience. Demande-toi comment un tas d’atomes peut avoir conscience qu’il fait partie d’un même organisme, d’une même personne. Généralement on pense que le cerveau est à l’origine de la conscience. Il serait comme un super-ordinateur, analysant les données que lui envoient les organes des sens. Aujourd’hui on nous parle beaucoup d’intelligence artificielle. Pourtant malgré les extraordinaires prouesses des algorithmes et des microprocesseurs, je ne connais pas d’ordinateur qui ait conscience de lui-même, qui ait conscience de sa présence dans le monde, qui ressent la nécessité de survivre. Il ne dispose d’aucune faculté d’évaluation de la Beauté, du bien et du mal, du bien-être. Un ordinateur ne se sent pas bien ou mal. Il n’est animé par aucun désir d’accroître sa connaissance. Il n’a aucune volonté propre, il ne veut rien pour lui-même ni pour les autres. Il n’a aucune conscience affective, aucune conscience organique. L’amour lui est totalement étranger, il n’aime pas, ne déteste pas. Les évènements extérieurs n’ont aucun effet organique. Par exemple, il ne ressent pas la peur qui lui vide la vessie. Il ne connaît pas le courage qui lui gonfle la bille. Il ne connait pas la joie qui lui agite le coeur, il ne connait pas la mélancolie qui lui étreint les poumons. Il ne connait pas l’apathie qui lui fige la rate. Il ne dispose d’aucune conscience de ses capacités d’accroissement ou d’action. Il ne peut en aucun cas se faire l’objet de lui-même. Il ne se projette ni dans le passé ni dans le futur. Il n’a pas de vitalité propre, pas de conscience corporelle.

Les sages qui ont vécu de vraies expériences spirituelles ne disent pas qu’il faut les croire aveuglément. Ils ne disent pas que la religion est une croyance. Il disent qu’il faut devenir un musicien capable de participer à l’orchestre universel. Ils disent qu’il faut avoir foi dans la capacité de l’être humain à devenir un musicien de la symphonie universelle.

Mais comment devient-on un musicien ? Tu sais que pour devenir un bon musicien il ne suffit pas de lire des livres ou d’écouter de la musique. Il faut pratiquer pendant de très longues années l’instrument que l’on a décidé d’adopter. Il faut s’investir totalement, physiquement, psychiquement (vivre découragements, épuisements, désirs, entrains, enthousiasmes, etc..), mentalement, dans l’art de la pratique de son instrument. Grâce à ce très long apprentissage, peut être qu’un jour le musicien écolier atteindra l’état de maitrise où il sera capable de jouer de son instrument de façon totalement libre, sans aucune réflexion. Il sera si profondément uni à son instrument qu’il pourra engendrer n’importe quelle note, avec la tonalité, la puissance sonore, la modulation, le sentiment voulus par le compositeur.

La religion c’est cela. Ce n’est pas une croyance, c’est un chemin qui conduit par l’expérience à s’unir à la symphonie universelle.

Il faut être intrigué par ce que disent les sages et en même temps il faut rester circonspect pour ne pas se laisser abuser par les faux sages qui pullulent.

Et puis il faut trouver la voie qui te convient.

Trouve la voie qui te convient pour accéder à la joie céleste, qui se ressent, mais ne peut s’exprimer, comme le dit Tchoang-Tzeu. Prends ton temps pour bien la choisir. Laisse passer plusieurs années s’il le faut. Essaie de déceler tout au fond de toi l’activité idéale qui te donnerait une très, très profonde satisfaction. Une satisfaction qui se diffuserait en toi comme une chaleur infiniment bénéfique. Lors de cette quête, sans doute tes pas seront-ils conduits vers la bonne porte. Celle menant au beau, au bon, au bien.

C’est là, je t’assure, une aventure extraordinaire. La plus difficile qui soit. La plus bénéfique qui soit !

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