N°10 – Philippe – Ma-Aï, La Concordance

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 L’homme debout sur la Terre manifeste un Point métaphysique à partir duquel s’organisent l’espace (ce qui est devant, ce qui est à gauche, à droite, derrière, en haut, en bas) et le temps (situation par rapport à la journée, à la phase lunaire, aux saisons solaires, au cycle cosmique de soixante termes, aux saisons couvrant son devenir). En observateur attentif, on peut constater que sur le Sol les choses se transforment (agrégation, dissolution, maturation, naissance, mort, etc..) et qu’au Ciel les choses s’enchaînent (constellations, astres et luminaires effectuent une immuable giration cosmique).

On finit par faire le constat qu’il y a une concordance entre les transformations qui se produisent sur terre et l’enchaînement cycliques des indicateurs célestes. Et dans la perpétuation de cette organisation cyclique des transformations des êtres, il peut percevoir une harmonie, une cohérence universelle.

Mais on peut faire le chemin inverse pour embrasser celui de l’histoire existentielle qui s’est inscrite dans le déroulé temporel. L’Être Est. Il “Est” l’Harmonie Universelle. Sa Respiration cosmique est le Yin et le Yang et par Elle il contrôle le flux et le reflux des variations énergétiques oscillant entre une nature plutôt Yin et une nature plutôt Yang, sur la succession des cycles saisonniers. Maître de ces rythmes, libre de tout sentiment extrême, l’être peut les inscrire dans des lois vérifiables pour y goûter la joie céleste en y restant parfaitement conforme.

Ces lois sont déclinables dans tous les aspects de l’existence. Elles participent à l’Unité de la multitude manifeste et lorsque qu’un composé organique – structurellement à l’image  du ternaire Tien/Ti/Jen (ci-dessous) – respecte la cohérence de ces lois, il peut réaliser l’identité de cette Unité Universelle par un apprentissage particulier.

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L’homme, entre Ciel et Terre, partant de sa particularité individuelle qui l’a situé au sein de la multitude, cherchera donc à établir le Ma-Aï en toute chose, c’est-à-dire qu’il cherchera à harmoniser ses rythmes intrinsèques avec les Rythmes Universelles.

C’est dans cette perspective qu’en chine, du temps de l’empereur Yao, quatre familles étaient désignées pour observer à chacun des orients de l’empire, le passage au méridien à minuit de l’étoile associée analogiquement à la saison et à l’orient.

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L’idéogramme Ma est composé d’une lune dans l’interstice des deux battants d’une porte. Cela rejoint l’idée de l’observation au temps de Yao où le passage au méridien se faisait en fixant le plan d’un mur orienté nord-sud. Cette observation permettait d’établir une relation d’analogie profonde entre les quatre orients et les quatre saisons. En outre, l’empereur, incarnation du Centre spatial et du Centre du temps incarné en extrême-orient par le concept de la saison centrale (une 5ème saison sans durée située entre la fin de l’été et le début de l’automne), effectuait des déplacements rituels dans son royaume à chaque saison. Ma désigne donc une concordance spatio-temporelle.

Aï est l’idéogramme que l’on retrouve dans Aï-Ki-Do. Il désigne la concordance, l’harmonie, mais contrairement à Ma, il s’agit d’une concordance plus générale, plus universelle. Il est composé d’une bouche surmontée d’une charpente. Les deux versants de la charpente c’est le Yin et le Yang. Le trait d’union horizontal représente les lois du Yin et du Yang. La bouche donne l’idée d’expectoration, de profération, d’expression manifeste de la diversité conformément aux lois universelles. Elle peut être associée au symbolisme métaphysique du Verbe source de tout ce qui se manifeste distinctement. “Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu.[1]

Ainsi Ma-Aï représente dans son acception la plus élevée une concordance avec l’ordonnancement universelle. Ce qui sur le plan existentiel se traduit par la mise en harmonie de son microcosme avec le macrocosme.

Cette concordance spatio-temporelle caractérise donc une perfection de rapport entre deux domaines distincts. Comme si les possibilités intrinsèques à ces deux domaines s’accordaient à la perfection à un principe commun, source et support de ses deux domaines. Dans la pensée extrême-orientale, comme dans beaucoup de tradition, l’ensemble de la manifestation (les êtres animés et non animés) est vu dans un premier temps comme résultant de la séparation du domaine de nature céleste et du domaine de nature terrestre, dans un deuxième temps comme réalisant l’unification du domaine Céleste et du domaine Terrestre.

Si l’on revient à l’idéogramme Ma, la lune entre l’interstice des deux battants de la porte, un grand nombre d’images peuvent en être extraites. Par exemple il y a l’idée de la synchronicité : on se tient là au moment précis où la lune passe dans l’interstice. Il y a aussi l’idée de “l’instant présent”, c’est-à-dire que la lune ne sera vue sur l’indéfini déroulé temporel qu’à un infinitésimal instant. On retrouve aussi l’idée qu’il y a des instants caractéristiques où lorsqu’un rythme céleste s’aligne avec un repère terrestre, les deux domaines sont en communication (par la porte). En bio-énergétique chinoise, ces instants correspondent aux moments équinoxiaux et solsticiaux, c’est-à-dire au milieu de certaines périodes cycliques qui animent tous les plans constitutifs de l’être et lors desquels des échanges énergétiques se produisent entre les différents plans (en retenant le découpage rapporté par Jacques-André Lavier dans son “Bio-énergétique Chinoise” on a le plan métaphysique, le plan intellectuel, le plan affectif, le plan somatique avec les Tsang et les Fou).

Munis de toutes ces considérations, voyons comment transposer sur le plan des arts martiaux et plus particulièrement en Aïkido le concept de Ma-Aï.

Les deux domaines correspondent respectivement à l’attaquant et au défenseur. Si l’on se place en tant que défenseur, l’attaquant incarne une entité extérieure avec ses possibilités propres qui entrent en interaction avec notre propre monde. Trois possibilités s’offrent au défenseur :

●      être détruit par l’entité

●      détruire l’entité

●      s’harmoniser avec cette entité et s’accorder avec ses possibilités propres pour produire un mouvement harmonique préservant la vie des deux êtres.

La nature de l’art martial, le degré d’avancement dans la maîtrise des techniques de la voie, la nature de sa volonté propre, le degré de clairvoyance, sont les paramètres qui détermineront en quelque sorte l’issue de la rencontre.

Plusieurs stades seront franchis au cours de l’apprentissage :

●      Compréhension et développement de ses propres possibilités et limites d’actions et réactions.

●      Compréhension des mécanismes de neutralisation des forces destructrices.

●      Compréhension des possibilités de préservation de l’intégrité existentielle.

En Aïkido cette possibilité est poussée à son maximum en offrant au pratiquant l’opportunité de jouer les deux rôles (agresseur/agressé) et d’apprendre de la sorte, par la maîtrise des ukemi et de techniques aux possibilités de Clémence/Sanction, à préserver l’intégrité des êtres engagés dans une action extrême.

Lors de cette progression on perçoit de plus en plus facilement comment se déplacer pour se placer idéalement de manière à ce qu’il soit toujours possible de se coordonner au mouvement de l’attaquant de manière à neutraliser son action portant en elle une possibilité destructrice, mais aussi une possibilité de préserver une mutuelle intégrité.

Ce qui donne une dimension de sagesse à l’Aïkido c’est la possibilité qu’il nous offre de sortir de la notion du bien et du mal et de considérer qu’il est possible de s’éduquer pour devenir capable de répondre par un “agissement merveilleux” à toutes forces destructrices en offrant, par la même, la possibilité de préserver autant que possible l’intégrité de tous les êtres entrés en relation.

On retrouve donc une portée très universelle du Ma-Aï puisque la concordance que l’on quête par l’apprentissage des techniques martiales est bien plus que celle qui n’ouvre qu’à la seule préservation de sa propre intégrité sans se préoccuper de celle de l’autre. On quête la concordance préservant et développant la vie. Elle est celle résultant d’un état où il est possible de transformer toute action en mouvement harmonieux.

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[1] Évangile de Saint Jean, premier verset.

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