Le Roi Dragon N°4 – La dernière saison du cycle cosmique
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Avec cette date de publication du Roi Dragon Magazine du 5 Novembre 2014, nous entrons dans la dernière saison de l’année. Il s’agit là du jalon saisonnier propre à la tradition extrême-orientale. On remarquera donc que l’hiver débute un mois et demi avant le solstice, si bien que celui-ci coïncide exactement avec le milieu de la saison. Comme nous le verrons plus en détail par la suite, cette particularité relève le souci de la pensée traditionnelle chinoise à se mettre en conformité avec les principes universels et ici plus particulièrement avec ceux édictant qu’une possibilité d’expression commence par une phase non manifeste avant de devenir effectivement manifeste.
Cette exigence à identifier et à comprendre ce que sont les principes existentiels, concernent pleinement les pratiquants d’arts de la Paix que nous sommes, car O’Sensei nous a demandé de mettre en accords nos techniques avec les principes universels et a rappelé que de cette harmonisation résultait un premier pas vers une mise en lien avec la source de l’Art de la Paix :
“Les techniques doivent être en accord avec les principes universaux. […] Les techniques qui s’accordent aux principes universaux vous assurent les bienfaits de l’amour. Elles constituent le bu du takemusu. La résonance est le premier pas vers une connexion au takemusu bu.”
Bien qu’aujourd’hui nous soyons immergés dans un monde profondément technologique en lequel nos préoccupations nous désolidarisent petit à petit des rythmes naturels, nous pouvons, cependant, difficilement échapper au constat de l’enchaînement des saisons. De la même manière il n’est pas bien difficile d’observer le cycle des lunaisons. Un peu plus discrètes sont la variation de la hauteur du soleil à son zénith et ses positions et heures de lever et de coucher sur l’horizon en fonction des saisons. La nuit, nous pouvons sans peine observer la variation de la position de la Grande Ourse à une même heure au cours de l’année. Et sans doute, avons-nous eu lors de notre enfance, un proche qui nous aura montré l’étoile du berger lors d’un crépuscule, en précisant peut-être qu’il s’agit de la planète Vénus de notre système solaire. En étant un peu attentif, on constatera aussi qu’aux équinoxes les jours rallongent ou raccourcissent avec une vitesse beaucoup plus importante qu’aux solstices. Tous ces constats nous mettent déjà en relation avec trois rythmes particuliers et trois types d’astres, les astres qui nous éclairent (Soleil et Lune) marquant les heures, les jours, les marées, ceux dont les mouvements sont apparemment désordonnés (en raison des périodes de rétrogradations) sur l’écliptique (les planètes), et ceux qui tournent immuablement (les constellations).
Mais voyons comment la tradition Extrême-Orientale intègre ces rythmes dans une représentation existentielle universelle. Les solstices et les équinoxes sont considérés comme les débuts de l’expression visible des saisons. Aussi ces moments charnières entre une phase préparatoire sans effets visibles et celle où les effets se font sentir, sont-ils considérés comme le « Juste Milieu », l’instant où un possible passe de la Puissance à l’Acte.
Les heures chinoises (qui valent deux de nos heures) sont structurées elles aussi autour de la notion du « Juste Milieu », puisque la première heure du nycthémère commence à 23h00 solaire et se termine à 1h00, étant donc à cheval sur minuit.
Mais il y a plus quant à la notion de Milieu et de Centre. En effet, bien que les saisons soient centrées sur les jalons solsticiaux et équinoxiaux pour en déterminer le début, le milieu et la fin, les elles sont également vues comme se succédant autour d’une cinquième saison pivot. A l’image du centre d’un cercle qui est sans étendue, la saison centrale est sans durée. Elle intervient cependant dans le cycle annuel, mais à des instants en relation analogique avec ce pivot, c’est-à-dire entre l’été et l’automne (le 6 Août), qui est le Milieu des 4 saisons, et aussi à chaque inter-saison qui est une sorte de Milieu entre deux tempérances.
Nous pourrions penser que ces représentations sont des élaborations purement hypothétiques qui n’établissent aucun lien avec la réalité. Pourtant, elles sont l’expression même des rythmes énergétiques observable chez l’homme. Par exemple, les heures chinoises correspondent très exactement aux vagues énergétiques mesurables dans le système péridrômique de l’homme (les méridiens). Toutes les deux heures, la vague énergétique change d’un seul coup de méridien. De la même façon, comme l’a rapporté Jacques André Lavier, à chaque saison les organes en relation analogique avec celle en cours sont à leur maximum énergétique, alors que l’organe de la saison opposée est à son minimum. La palpation des pouls chinois permet de constater cette variation énergétique saisonnière.
Nous pourrions penser également qu’il n’y a pas grand intérêt à retirer de la mise à l’unisson de nos agissements avec les rythmes saisonniers. Pourtant O’Sensei nous dit :
« En emmagasinant dans son ventre toutes les respirations des quatre saisons, on se conforme à l’ordre et on réalise la purification. (Takemesu Aïki, Vol III, page 79)«
Voyons maintenant comment s’établit concrètement la relation d’analogie reliant les techniques d’Aïkido et les principes universels. Intéressons-nous pour cela à la fonction principielle organique agissant lors de la saison centrale. Elle correspond sur le plan physiologique à la fonction organique P’i (Rate-Pancréas). Elle est tout à fait fondamentale parce qu’elle permet de maintenir l’équilibre dynamique de l’individu en relançant énergiquement à chaque inter-saison la fonction organique qui est à son plus bas. Cette fonction est désignée par les deux idéogrammes suivants :
Le premier représente les deux phases extrêmes de la vie : Naissance (les deux germes en haut) et Mort (la hallebarde en bas), l’autre représente le flux et le reflux, l’inspire et l’expire. Curieusement cette fonction existentielle est en relation avec la technique Ikkyo, tout comme chacune des quatre autres fonctions saisonnières sont en relation avec les quatre autres techniques de base. Pour Ikkyo, on retrouve le travail des bras parfaitement représenté par le premier idéogramme (la succession de l’action des bras : les deux pousses végétales en haut, et la coupe pour retourner le bras de l’attaquant : la hallebarde en bas), le déplacement effectué par une sortie-rentrée-sortie lors de la technique correspond quant à lui au deuxième idéogramme. Nous vérifions donc là, ce que le Fondateur nous a transmis, à savoir que les techniques d’aïkido respectent des principes universels régissant l’existence dans tous ses aspects. Sur l’exemple donné ici, P’i régit une relance énergétique sur le plan organique pour assurer l’intégrité existentielle d’un être, et constitue en même temps l’essence de Ikkyo. On le voit ainsi, la pratique nous offre le providentiel bénéfice de pouvoir intégrer les principes existentiels en cheminant vers l’exécution parfaite des techniques.
Cependant comme le rappelle le Fondateur dans l’extrait que nous avons donné ci-dessus, cette résonance entre les principes et la qualité d’être conférant une perfection exécutoire des techniques, ne constitue que la première étape vers l’état où l’on réalise le Takemusu Aïki. Le Fondateur nous rappelle la méthode pour les autres étapes vers cette réalisation :
« Aussi faut-il attendre l’Éveil pour que le véritable budo puisse exister. »
« C’est par la descente au pays des morts d’où s’était échappée la vie d’Izanagi qu’il faut accomplir l’Éveil. »
Il y a là quelque chose qui dépasse totalement l’aspect technique, mais qui cependant, semble-t-il, peut se produire en perfectionnant les techniques par une pratique intensive et en établissant un lien d’empathie avec le DoShu qui par sa filiation agnatique avec le Fondateur est celui qui détient un lien mystérieux permettant de franchir le pays des morts.
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