Le Roi Dragon N°12 – O Musubi : « Le Cordon du Lien »

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O’Musubi – Le cordon du lien

Les voies traditionnelles peuvent conduire l’être, par un très long et vertigineux chemin, vers des contrées que l’on ne soupçonne pas au départ. Cette aventure existentielle, identifiée généralement à la réalisation d’un état d’Union avec Ce qui est absolument Inconditionné, Illimité, Innommable (le Tao pour la tradition Extrême-orientale), permet de se fondre progressivement et par étapes successives, dans la complexité de l’Unité Existentielle. Non pas par la seule compréhension intellectuelle, mais par une mise à l’unisson de la totalité des constituantes qui font l’individu avec ce qui fait la Totalité Existentielle.

Curieusement, cette progression mystérieuse est effectuée par la pratique de techniques traditionnelles et l’entrée progressive dans leur maîtrise tout en étant en contact avec des influences subtiles que les voies traditionnelles ont reçues comme un dépôt sacré. Ces influences, ou du moins leurs parts terrestres, sont appelées par le Fondateur de l’Aïkido le cordon du lien (O Musubi) de l’âme de l’univers. Entrer dans la perfection des techniques dont l’une des caractéristiques est d’être des archétypes des rythmes universels, revient à accorder ses rythmes intrinsèques aux rythmes universels ce qui permet de nouer les fibres du cordon du lien de son ki au cordon du lien du Ki Universel détenu par la voie en laquelle on est entré.

Comme l’idée de cordon le suggère, le lien est fait de nombreux brins, laissant entendre que l’ensemble des brins couvrent l’ensemble des modalités du Ki Universel. C’est donc par l’ensemble des techniques, que l’on va devoir maîtriser progressivement, que l’on va parvenir à établir une liaison complète avec le Ki Universel.

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On comprend de la sorte que la transformation spirituelle passe nécessairement par une maîtrise d’un panel technique complet et par la maîtrise du savoir-faire offrant la possibilité de se mettre en résonance avec un domaine universel et transcendant. Cela met aussi en évidence que l’appartenance à une voie n’est nullement la condition suffisante pour se transformer spirituellement, puisqu’il faut produire des efforts sur une très longue période de sa vie pour essayer (sans aucune garantie) d’entrer dans l’état de Maîtrise. Elle est cependant la condition nécessaire puisque la voie est détentrice de la proximité avec du cordon du lien du Ki Universel, à condition bien entendu que la voie soit encore opérative, c’est-à-dire qu’elle ait conservé toutes les conditions requises pour rendre accessible actuellement en des lieux spécifiques, le lien avec le Ki Universel. Ce point est fondamental, puisque si ces conditions ne sont pas (ou plus) remplies par la voie, on pourra pratiquer les techniques aussi longtemps que l’on veut et aussi parfaitement que l’on veut, la résonance avec le domaine universel et transcendant ne pourra pas se produire. Nous voyons donc que si la technique est le moyen de nouer les cordons du lien de son ki individuel aux cordons du lien du Ki Universel, elle n’est pas le but en soi. C’est la raison de l’expression “passer au-delà de la forme” (technique).

Comme nous l’avons déjà souligné dans une autre étude “Du Spirituel et de la Technique”, l’aspect technique d’une discipline traditionnelle ne concerne pas que le corps. Il mobilise la totalité des modalités structurelles de l’individu, esprit, âme et corps. Mais c’est aussi en comprenant la portée symbolique des techniques que l’on peut comprendre pourquoi l’exécutant en état de Maîtrise et lié au cordon du lien de l’âme de l’univers peut entrer en résonance avec le domaine transcendant.

En ce monde, certaines personnes parlent souvent de « O musubi » (le cordon du lien). Mais, en ce qui concerne le cordon du lien, il faut, par la vertu de la foi, purifier le cordon de l’âme de l’univers, et nouer le cordon du lien avec le cordon de l’âme de l’univers. En d’autres termes, il faut nouer toutes les fibres du cordon de l’âme,tissées en une seule corde, à la voie du Dieu de l’origine unique. Il est essentiel de ne pas se détacher de cette précieuse foi. (II, page 75)

Portée symbolique des techniques

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Pour comprendre ce que peut être la portée symbolique d’une technique, nous pouvons prendre pour exemple la Technique Ikkyo de l’Aïkido. Ikkyo est l’une des cinq techniques ou principes de base. Elle est considérée comme la Mère des quatre autres principes. Ces cinq techniques sont une déclinaison ou une mise en oeuvre existentielle du cycle dénaire de la tradition Extrême-orientale, qui correspond à la Loi régissant l’harmonie existentielle entre les Fonctions vitales de l’être (voir l’étude Petite mise en perspective de l’astrologie chinoise”, LRD N°11).

Ikkyo est la technique Centrale, correspondant à la Fonction Pi (dont l’organe associé est le couple rate-pancréas) associée à l’élément Terre. Pi est une fonction singulière puisqu’elle est, comme l’incarne l’élément Terre, à la fois centrale et intemporelle. Elle est à la fois un référentiel et un pont relayant l’impulsion transcendante permettant de relancer les rythmes énergétiques de l’organisme aux intersaisons. Cette fonction est composée de deux temps Wou et Tchi (un temps Yang, un temps Yin). Wou correspond dans la technique Ikkyo à l’action du haut du corps s’exprimant par l’intermédiaire des mains, alors que Tchi correspond au déplacement du bas du corps par l’intermédiaire des pieds.

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Wou     et      Tchi

L’idéogramme Wou, est composé de deux radicaux. En haut deux plantes en germination, en bas une hallebarde. Il représente symboliquement la Vie / la Mort, la Miséricorde / La Justice. L’idéogramme Tchi quant à lui, est le fil de la trame sur le métier à tisser. Certaines gloses l’associent au tracé que font les planètes externes sur l’écliptique, avec les deux périodes d’antérogradation et de rétrogradation. Nous voyons que Wou et Tchi incarnent chacun, suivant leur nature, le principe d’alternance : le changement d’état pour Wou et le changement de direction pour Tchi. Ikkyo “Agit” ces principes tout en préservant l’intégrité des êtres. Cette technique permet de neutraliser une attaque en usant de toutes les possibilités d’alternance, Absorption/Expulsion, Avant/Arrière, Relâché/Tendu, Vide/Plein, Présent/Absent, Sortir/Rentrer, Haut/Bas, Gauche/Droit, Libre/Immobile, etc..

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http://aikidobesancon.over-blog.com/page/20

Nous voyons ici, uneporté symbolique extrêmement profonde se détacher de cette technique, et l’on comprend que le cheminement vers sa Maîtrise induit, non pas une compréhension exclusivement intellectuelle des principes qu’elle incarne, mais un savoir-faire existentiel et expérimental des Principes sous-tendus.

Jouer l’Universel par les Techniques sacrées

En Aïkido, nous apprenons à exécuter Ikkyo et plus généralement toutes les techniques de base, sur l’ensemble le plus vaste possible des contraintes incarnant le principe catabolisant ou destructeur. Ceci est mis en scène par la diversité des types de frappes (verticales, latérales, de front, sur trois hauteurs : tête, plexus, ventre) et des saisies (col, épaule, manche, poignet, avant et arrière). À travers les cinq techniques de base, nous apprenons donc à neutraliser une action destructrice par les principes d’absorption-impulsion en s’harmonisant avec les rythmes de l’attaque, tout en préservant autant que possible l’intégrité des deux protagonistes (l’attaquant et l’attaqué). Les principes de Miséricorde et de Justice seront appliqués en fonction du choix qui sera fait par l’attaquant entre le côté Vie ou le côté Mort de sa réaction à la technique à condition que l’Aïkidoka tienne en essence la technique pour être dans la capacité de proposer l’entièreté de ces deux phases. Précisons tout de même que le principe de Miséricorde est celui qui est toujours privilégié, d’une part parce que l’Aïkidoka idéal ne sera jamais l’agresseur, d’autre part parce que les techniques comportent toutes une phase Vie (neutralisation pacifique) précédant une phase Mort.

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Le passage à la limite

C’est parce que tous les aspects de l’individualité sont concernés par la technique, parce que l’on expérimente la réponse harmonieuse à la diversité des principes d’agression, qu’un jour peut survenir, comme j’ai pu le constater chez mon Maître, l’état de maîtrise des techniques. Cet état correspond à l’intégration de l’indéfinité des possibilités d’une technique, c’est-à-dire à avoir vécu véritablement ce que le soufisme appelle le “passage à la limite”, qui est le moment où l’on n’a plus besoin de conscientiser ce qui doit être fait pour réaliser la technique, mais où l’on sait de façon parfaitement intuitive et immédiate comment se placer et agir pour effectuer à coup sûr la technique quelque soit l’attaquant et la forme de l’attaque. Cet état de “Certitude” provient de la “Connaissance” existentielle et expérimentale du principe de la technique. C’est de cette connaissance principielle que survient l’état de Paix intérieure. Il faut souligner cependant, que l’on peut très bien accéder à l’état de maîtrise d’une technique, sans pour cela les maîtriser toutes. Je me souviens lors d’un séminaire de EndoSenseiShihan, nous démontrant Ikkyo, Nikyo, Sankyo. Arrivé à Yonkyo, il nous dit :

Je ne maîtrise pas bien cette technique. Encore dix ans peut-être !

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En tant qu’observateur nous ne voyions pas bien en quoi EndoSensei ne maitrisait pas le principe Yonkyo, étant donné la rectitude extraordinaire que nous pouvions constater dans sa gestuelle. Mais ce Maître exprimait la réalité de sa relation à ce principe qu’il savait ne pas avoir intégré au regard de l’expérience d’intégration qu’il vivait pour d’autres.

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