N°4 – Tony – La cible invisible
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Sélectionné par Tony de « Les contes des arts martiaux »
Alors que le Maitre Kenzo Awa expliquait que l’Art du tir a l’arc consiste à laisser partir la flèche sans intention de réussir, tirer sans viser, son élève européen Herrigel ne put s’empêcher de dire : « Mais alors, vous devriez être capable de tirer les yeux bandés… ? »
Le Maître posa longuement son regard sur lui… avant de lui donner rendez vous pour le soir même.
Il faisait déjà nuit quand Herrigel fut introduit dans le dojo. Le Maître Awa le convia d’abord à un Cha no yu, une cérémonie du thé qu’il exécuta lui-même. Sans dire un mot, le vieil homme prépara le thé puis il le servit avec une infinie délicatesse. Chacun de ses gestes se déroulait avec la précision et la beauté que seule une grande concentration peut donner. Les deux hommes gardèrent le silence pour goûter la saveur de cet harmonieux rituel. Un instant d’éternité, comme disent les Japonais.
Suivi de son visiteur, le Maître traversa ensuite le dojo pour se placer face au hall qui abritait les cibles, a 60 mètres de la. Le hall des cibles n’était pas éclairé et on en devinait à peine les contours. Suivant les instructions du Maître, Herrigel alla y fixer une cible sans allumer la lumière.
A son retour, il vit que le vieil archer se tenait prêt pour la cérémonie du tir à l’arc. Après avoir salue en direction de la cible invisible, le Maître se déplaça comme s’il glissait sur le plancher. Ses mouvements s’écoulaient avec la lenteur et la fluidité d’un fumé qui tourbillonne doucement dans le vent. Les bras s’élevèrent puis s’abaissèrent. L’arc se tendit tranquillement jusqu’à ce que la flèche parte brusquement. Elle s’enfonça dans l’obscurité. Le Maître resta immobile, les bras suspendus, comme s’il accompagnait la flèche vers sa destination inconnue, comme si le tir continuait sur un autre plan. Puis, à nouveau, l’arc et la flèche dansèrent entre ses mains. La seconde flèche siffla à son tour et fut avalée par la nuit.
Herrigel s’empressa d’aller allumer le hall, impatient de voir ou s’étaient plantées les flèches. La première était au cœur de la cible. La seconde était juste à cote, légèrement déviée par la précédente qu’elle avait touchée et dont elle avait fait éclater le bambou sur plusieurs centimètres !
En rapportant la cible, Herrigel félicita la Maître pour son exploit. Mais celui-ci répliqua : « Le mérite ne m’en revient pas. Ceci est arrive car j’ai laissé « quelque chose » agir en moi. C’est ce « quelque chose » qui a permis que les flèches se servent de l’arc pour s’unir à la cible. »
Ce stupéfiant exploit est rapporte par le professeur Herrigel dans son livre le zen dans l’art chevaleresque du tir a l’arc, livre dans lequel il raconte son apprentissage éprouvant de Kyudo pendant les six années qu’il passa au Japon.
Remerciements aux éditions Albin Michel pour l’autorisation à la reproduction de cet extrait de l’ouvrage « Les contes des arts martiaux » de Pascal Fauliot.
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